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Chez Moncelon:
Si Marie-Madeleine Davy parle de Nicolas Berdiaev comme d’un « pneumatologue », celui-ci se définissait comme un homo mysticus – plutôt qu’un homo religiosus.
Certes, il faut donner ici son sens au mot « mystique » tel que Berdiaev l’utilise, dans l’ordre de la pensée orthodoxe.
Il dira lui-même à ce sujet : « J’ai du monde une conception mystique à l’origine et, par comparaison, le moment religieux, organisé, n’est que secondaire. Eckhart, Jacob Boehme, Angélus Silesius sont plus près de mon cœur que les Pères de l’Eglise.
Je crois à la présence d’une mystique universelle, d’un spiritualisme universel. (…)
J’ai cependant toujours été plus attiré par la mystique gnostique et la mystique prophétique que par la mystique ayant reçu l’approbation officielle de l’Eglise, celle qui a été reconnue comme la mystique orthodoxe, quoiqu’elle mériterait mieux le nom d’ascèse », In Essai d’autobiographie spirituelle.
http://www.moncelon.fr/berdiaev.htm
Marie-Madeleine Davy et ceux qu’elle appelle les « hommes de lumière » :
de ces « hommes de lumière », celui qui aura le plus profondément impressionné Marie-Madeleine Davy aura été le philosophe russe Nicolas Berdiaev (1874-1947). C’est qu’il ne s’agit cette fois ni de mystique, ni de gnose, mais de pneumatologie, le domaine de prédilection de Marie-Madeleine Davy qui dira, à ce propos :
« Pour comprendre la pensée de Nicolas Berdiaev, il convient d’éprouver à son égard une certaine parenté : celle-ci se manifeste dans une certaine orientation de l’être vers la lumière ».
Nicolas Berdiaev est né le 19 mars 1874 près de Kiev dans une famille de la haute aristocratique et c’est à Kiev qu’il passa son enfance et son adolescence, nourrissant progressivement sa révolte contre la société mondaine et aristocratique à laquelle il appartenait jusqu’à la rupture. En 1898, il est emprisonné pour menées révolutionnaires, libéré puis exclu de l’Université, placé en résidence surveillée pendant 2 ans à Kiev et condamné, enfin, à trois années d’exil à Vologda. De retour à Kiev, il se tourne vers la religion orthodoxe, sous l’influence de Serge Boulgakov, se marie avec Lydie Trouchev. 1904 : Saint-Pétersbourg où la société qu’il fréquente s’est « convertie » à la Théosophie, selon Hélène Blavatsky et Annie Besant : « Par la réaction qu’elle provoqua en moi, elle contribua fort à ma conversion à l’Eglise orthodoxe. » Il passe l’hiver 1907 à Paris, puis retourne à Moscou où il retrouve Serge Boulgakov. C’est de cette époque que date son admiration exclusive pour Jacob Boehme.
Vint la révolution de 1917. Nommé membre du Conseil provisoire de la République, il se détourne rapidement de l’activité politique, rédige La Philosophie de l’inégalité, qui est une attaque contre le bolchevisme et qui ne sera pas publié ; il est nommé ensuite vice-président de l’Union des Écrivains et professeur à l’université de Moscou. Ses ennuis avec le régime commencent en 1920, et il sera finalement expulsé de Russie en 1922, « pour des raisons idéologiques et non politiques ». Commence l’exil, à Berlin d’abord, de 1922 à 1924, où il est Doyen de l’Institut scientifique russe, puis à Paris où il vécut jusqu’en 1947, année de sa mort, le 23 mars. Plus de vingt années par conséquent s’écouleront à Paris où il se consacrera exclusivement à son œuvre.
C’est par conséquent à son domicile du Petit Clamart, ainsi qu’à Londres que Marie-Madeleine Davy et lui eurent de fréquents échanges. D’elle, il parlera dans son Essai d’autobiographie spirituelle comme d’une « femme très érudite et bien douée, notre nouvelle amie ». Elle lui consacrera un essai, L’homme du huitième jour. Comme Simone Weil avait représenté pour elle un témoin de la Vérité, Nicolas Berdiaev lui communiquera sa passion de la Liberté : « Fils de la liberté, il projetait autour de lui un air pur de haute montagne, une atmosphère incandescente. Son attitude, son langage, les expressions de ses yeux, tout débouchait sur l’éternité. Le voir, parler avec lui, suspendait le temps. Nicolas Alexandre semblait immergé dans cette pré-ressurection que l’on annonce devoir survenir après la mort physique. Parfois, elle devance le décès, elle saisit le vivant et l’illumine. Berdiaev aura été pour moi une preuve de cette anticipation aussi rare que féconde ».
Les thèmes majeurs de l’œuvre de Nicolas Berdiaev qui ont trouvé l’écho le plus favorable en Marie-Madeleine Davy apparaissent le sentiment de la liberté – qui s’oppose aux orthodoxies, religieuses ou non – « la liberté n’est pas aimée » – la compassion, ou plutôt l’amour, la tendresse, envers autrui – et, enfin, le sentiment d’isolement, « solitude accablante ». Ils lui feront écrire : « A l’égard de Berdiaev, j’éprouvais une sorte de connivence. J’emploie ce terme à dessein, car je n’ose pas faire usage de celui de parenté ». Cependant, pour qui a connu Marie-Madeleine Davy, il s’agit bien d’une véritable parenté, ou de l’appartenance à une même famille, y compris en des traits intimes, en particulier dans leur rapport à la sexualité.
En effet, de même que Nicolas Berdiaev a pratiqué l’abstinence au sein de son propre mariage, parce que, disait-il, « l’homme intégral comprenait en lui la nature féminine », Marie-Madeleine est resté célibataire. Il s’agit en fait d’un choix de vie, à propos duquel elle s’est exprimée à maintes reprises : « Il existe deux types de mariage, l’un est lié à la chair, l’autre à l’esprit. Ce dernier se présente comme un authentique mariage », ou encore : « Du point de vue charnel, le philosophe se doit de choisir le célibat. Cependant il va contracter un mariage secret. » Pour Nicolas Berdiaev, comme pour elle, la virginité leur apparaissait comme une « énergie sexuelle positive ». Mais on entre ici dans le secret de l’expérience spirituelle de Marie-Madeleine Davy.